Les données mobiles pour estimer la consommation d'alcool des jeunes
Les jeunes consomment-ils plutôt de l’alcool dans un lieu commercial ou chez des amis ? En petit ou en grand groupe ? Auront-ils plutôt tendance à boire s’ils passent la soirée dans un seul bar, ou s’ils se déplacent de lieux en lieux ? Et parmi ces facteurs, quels sont ceux qui ont le plus d’influence ? Des scientifiques de l’Institut de Recherche Idiap et de l’EPFL ont cherché à comprendre les contextes propices à la consommation d’alcool chez les jeunes en se basant sur des données factuelles, à savoir les données mobiles récoltées lors de sorties nocturnes. Ils ont également démontré que l’analyse informatique de ces données mobiles permet d’estimer les soirées indiquant une consommation d’alcool chez les jeunes à plus de 75%.
Photographier ses boissons pour des données factuelles
Dans le cadre de cette étude, les scientifiques ont créé deux applications que les participants ont téléchargées sur leur smartphone. La première permettait aux volontaires de photographier et de reporter toutes les boissons consommées pendent la soirée, alcoolisées ou non, puis d’en préciser le type, la quantité, le nombre, ainsi que le lieu de consommation. Un rappel leur était envoyé chaque heure afin de rajouter d’éventuelles boissons oubliées. Les chercheurs savaient ainsi pour chaque nuit et chaque utilisateur si de l’alcool avait été consommé ou non. Ils ont classifié chaque nuit par utilisateur comme « avec alcool » ou « sans alcool ».
Des capteurs pour récolter les informations sur l'environnement
La seconde application était constituée de différents capteurs, récoltant en continu des informations sur l’environnement de la soirée, comme l’activité, la localisation, l’état de la batterie, la sollicitation de l’écran, les points Bluetooth et wifi à proximité ou la liste des applications utilisées pendant la nuit. Beaucoup de points Bluetooth à proximité signifie par exemple que d'autres personnes sont à proximité, des points wifi que le jeune se trouve dans un lieu public et pas privé, l'activité qu'il est par exemple en train de danser, donc en club.
Un modèle qui estime la consommation d'alcool
Les chercheurs ont ensuite fait correspondre les données contextuelles récoltées par les capteurs avec la classification "avec alcool" ou "sans alcool", selon les photos des boissons prises cette même nuit. Ils ont ainsi pu comprendre quels environnements -en solo ou en groupe, avec peu ou beaucoup de déplacements, dans des lieux commerciaux ou non- favorisent la consommation d’alcool chez les jeunes. Finalement, ils ont utilisé l’apprentissage automatique (ou Machine Learning) pour que face à un ensemble de données mobiles récoltées par des capteurs, un ordinateur puisse automatiquement déduire si celui-ci indique une soirée qui sera alcoolisée ou non. Leur méthode permet d’obtenir un résultat correct dans plus de 75% des cas. Il a également pu mettre en évidence les critères les plus significatifs : le niveau d’activité, la mobilité et le contexte social. Les résultats sont publiés dans le journal scientifique IEEE Transactions on Mobile Computing.
Des données plus riches
Pour cette étude, les chercheurs ont recruté 241 participants âgés de 16 à 25 ans, qui ont partagé leurs données de manière anonyme durant 10 weekends, les vendredis et samedis de 20h00 à 4h00 du matin, lors de sorties à Lausanne et à Zurich. Cette recherche est la première à utiliser des données riches collectées par les smartphones pour comprendre la consommation d’alcool chez les jeunes en Suisse. Elle représente une nouvelle approche pour des études de santé publique et prévention, puisqu’elle permet d’analyser des informations factuelles et non des perceptions. « Traditionnellement, les études sur la consommation d’alcool chez les jeunes se font à partir de questionnaires que les participants remplissent par exemple le lendemain », explique Daniel Gatica-Perez, responsable du groupe Social Computing de l’Idiap. « Or on sait que nous oublions généralement de reporter une grande partie de notre consommation ». La même remarque s’applique aux contextes : notre perception est subjective. Cette fois, les chercheurs ont pu s’appuyer sur les informations transmises par les capteurs : activité et déplacements importants ou non, nombre de personnes à proximité, type d’applications sollicitées pendant la soirée et utilisation du téléphone.
Une base pour de futures études sur la consommation d’alcool
Cette recherche démontre que les données mobiles fournies par les citoyens pour le bien public peuvent être utilisées pour estimer la consommation d’alcool pendent une soirée avec des performances prometteuses, ouvrant ainsi la porte à l’exploration d’autres facettes dans le domaine, comme la consommation à la maison ou l’influence du facteur temps dans la consommation. Les chercheurs soulignent toutefois l’importante d’inclure des entretiens qualitatifs, menés ici par une partenaire chercheuse de l’Université de Zurich. « Les données ne disent pas tout, souligne Daniel Gatica-Perez. Les entretiens nous permettent de comprendre les nuances et complexité de la vie nocturne et de valider certains de nos résultats. »
Auteur Clara Marc (EPFL), revu par l’Idiap.
Financement
Cette recherche a été mené par l’Institut de recherche Idiap (affilié à l’EPFL), l’Université de Zurich et Addiction Suisse, financée par le Fonds National Suisse, elle a été réalisée dans le cadre des projets Youth@Night et Dusk2Dawn.
Publication: DrinkSense: Characterizing Youth Drinking Behavior using Smartphones